Rencontres lithiques – Deadline 6 mai 2022
À paraître au printemps-été 2023
Coordination : Nicolas Adell, Laurence Charlier Zeineddine, Ludovic Coupaye
Appel suivi des journées d’étude Techniques&Culture
à Marseille, les 8 et 9 juin 2022
Les pierres agissent. Cette idée familière a été examinée par l’ethnographie, notamment au sein des activités techniques et rituelles. Il s’agit alors souvent de pierres transformées, travaillées, modifiées, gravées, sculptées, taillées. Ce faisant, les pierres ont été prises en charge par l’anthropologie économique (étude des échanges interethniques et de la circulation des pierres, reconstitution des filières socio-économiques), par l’anthropologie du religieux et du rituel (engageant les thèmes du sacré, mais aussi du pouvoir et de la puissance des pierres) ou par l’anthropologie des techniques et du patrimoine (pierres saisies par le geste qui les transforme, par la filière artisanale, par l’architecture, etc.). Ces différentes approches ont mis au jour le rôle actif des pierres dans la création et la consolidation de réseaux de relations au sein de collectifs et entre collectifs, mais aussi entre les sociétés et leurs environnements. Nous souhaitons ici faire un pas de côté et livrer les contours de situations où les rencontres lithiques ne sont ni exclusivement rituelles (mais peuvent aussi s’inscrire dans un rituel), ni strictement à finalité technique (mais peuvent aussi être environnées d’actes techniques), soit les deux cadres par lesquels les pierres sont ordinairement saisies par l’anthropologie.
Cette approche élargie des contacts avec les pierres présente plusieurs intérêts. Elle invite à débarrasser le regard de l’anthropocentrisme qui pèse sur l’appréhension des relations au monde des pierres et des rochers. Et s’il n’est pas question de mener des ethnographies minérales visant à s’affranchir des humains, nous tenons à faire entendre la voix de celles et ceux qui, au sein de différentes sociétés, chargent les pierres d’intentionnalité et de qualités singulières, indépendamment des relations que celles-ci entretiennent avec des humains. Dans les Andes, par exemple, en marchant à proximité de pierres, les bergers peuvent remarquer qu’elles sont en train de marcher. Ils le constatent sans référer des activités rituelles qui activeraient cette capacité à se déplacer. Par ailleurs, il s’agit de rééquilibrer le rapport de force qui se noue dans l’action entre un bloc et un être humain, sans pour autant chercher à le symétriser de façon systématique.
On s’attachera à présenter des manières de faire et des savoirs pratiques qui reposent sur l’identification de quelques propriétés saillantes de rochers. En Roumanie, par exemple, nombreuses sont les histoires, collectées d’abord par les folkloristes et désormais surtout par les géologues, qui rapportent la vie des trovants, ces boules granitiques « qui poussent ». Catégorisés en « mâles » ou « femelles » selon la forme des excroissances qui les font grandir, ces pierres font famille ou sont parfois déplacées par les habitants des villages alentours pour qu’elles « fassent famille ». Les rochers peuvent donc se voir doter de certaines capacités qui forment autant de repères sensibles pour produire du sens, organiser des relations avec l’environnement, assurer une médiation entre soi et les autres, développer une réflexion sur des notions comme la durée, la présence, la persistance, la fermeté ou l’équilibre. Comment ces capacités des pierres à bloquer (la lumière, le passage), à résister, à durer, à croître, à se transformer ou à stocker la chaleur, sont perçues et mobilisées dans les manières de penser la vie, l’action, la subjectivité ou les relations ? Ainsi, il s’agit d’examiner les façons dont les sociétés intègrent différentes manières lithiques d’exister, d’agir ou de réagir – des formes de présence qui ne sont pas sans avoir d’importants effets sur la vie sociale des collectifs d’humains avec lesquels ces cailloux interagissent.
Cet appel à contributions invite donc à examiner les cailloux, les pierres, les rochers ou autres matériaux et formes lithiques de l’environnement ou du paysage qui peuvent échapper à l’attention des anthropologues mais qui ont pu retenir celle des géologues, des préhistoriens, des archéologues ou encore des artistes. Ce numéro entend faire une place à la pluralité des regards qui peuvent être portés sur les pierres « sauvages » ou « brutes » et sur ce qu’elles font aux relations qui trament les mondes des uns et des autres.
Le dossier pourra être structuré autour de trois axes principaux.
Axe 1 : Écosystèmes de relations
Il s’agit de chercher à décrire et caractériser les différents réseaux de relations dans lesquels les pierres peuvent être prises, afin de mieux déterminer les socio-écosystèmes auxquels elles prennent part, voire auxquels elles donnent lieu. La complexité de ces réseaux, qui mettent en présence des humains et des non-humains (et à l’intérieur de cette dernière catégorie un peu trop massive, des entités de nature très différente depuis les phénomènes naturels jusqu’aux artefacts en passant par des animaux, des esprits, des plantes, d’autres pierres), offre aussi aux individus qui les perçoivent des occasions de penser ou de mettre en œuvre une conception de la relation. À partir de quoi ou de quand y a-t-il « relation » ? Comment évaluer la nature ou la qualité d’une relation ? Le modèle des relations sociales entre humains détermine-t-il strictement celles que des individus peuvent avoir avec des pierres ou que des pierres peuvent avoir entre elles ? Ou, au contraire, ces relations entre entités de natures très diverses fournissent-elles l’occasion d’explorer d’autres façons de se lier que les humains n’envisagent pas ? Enfin, en quoi notre approche des relations lithiques permet-elle de repenser le concept d’Anthropocène et l’Anthropocène de repenser nos relations à la matière lithique ?
Axe 2 : Régimes d’apparition et modes de présence
Seront abordées la question des taxinomies d’une part et la question des apparitions minérales d’autre part, soit les modes de présence dans la langue d’un côté et les modes de présence dans le milieu de l’autre. Sur le versant des taxinomies, on interrogera les propriétés ou spécificités du matériau (dureté, forme, couleur…) qui revêtent (et de quelle manière) une efficacité différentielle ? Quels procédés d’individuation (noms, attributs distinctifs des pierres au sein de chaque catégorie) sont mis en place et en quelles occasions ? Et puisque tout ne peut être dit dans un nom, de quels récits ou discours les pierres peuvent-elles être les sujets ? Dans le registre des apparitions, on souhaite rendre compte de la diversité des mobilités ou agitations minérales telles qu’elles sont perçues par les collectifs qui y prêtent une attention. Ces ethnographies sur l’agir lithique pourront donner lieu à des réflexions sur les représentations du territoire, sur les régimes de présence ou encore sur les manières d’apparaître et de disparaître des pierres.
Axe 3 : Qualités des pierres
L’examen des multiples qualités des pierres (durée, résistance, dureté, latence, résonance, opacité, compacité, etc.) doit offrir d’explorer des questions anthropologiques transversales qui débordent largement le monde minéral, particulièrement les thèmes de la durée et la temporalité, de l’action technique ou encore du vivant. La discordance des temps à hauteur de pierres fait qu’elles affichent des propriétés en apparence contradictoires : immobiles et mobiles, cassantes et souples, selon l’échelle temporelle à laquelle on les considère. Les contributions nourrissant ces paradoxes minéraux et ces changements d’échelle seront les bienvenues. De même, l’attention aux écosystèmes élargis dans lesquels les pierres sont prises invite à questionner la qualification des actions techniques dans le monde lithique. L’action répétée et efficace d’un ruissellement creusant une roche et la transformant, la collaboration du vent et des pierres produisant des sons, les courses des enfants au long de parcours coutumiers qui, par ces pratiques, façonnent dans la durée des pierres ainsi entretenues et acclimatées à l’expression de ces habiletés. Que gagne-t-on – ou que perd-on – à envisager ces opérations dans le registre des actions techniques ? Enfin, entreprendre une description des mondes lithiques et des relations qui les animent permet d’adopter de nouvelles perspectives sur ce qu’être vivant veut dire, hors des principes de la biologie. Nous serons attentifs à toute contribution visant à exposer les contours de ce vivant non biocentré dont les pierres nous semblent détenir la clé.
Bibliographie indicative
- Adell, N. & L. Charlier Zeineddine à paraître « Pierres vivantes. Une anthropologie du vivant à hauteur de pierres », Anthropologie et sociétés 46 (2).
- Boivin, N. & M. A. Owok dir. 2005 Soils, Stones and Symbols. Cultural Perceptions of the Mineral World. Londres : Routledge.
- Caillois, R. 2015 La lecture des pierres. Paris : Xavier Barral.
- Cohen, J. J. 2015 Stone. An Ecology of the Inhuman. Minneapolis : University of Minnesota Press.
- Cooney, G., Gilhooly, B., Kelly N. & S. Mallía-Guest dir. 2020 Cultures of Stone. An Interdisciplinary Approach to the Materiality of Stone. Leiden : Sidestone Press.
- Coupaye, L. 2021 « At the power plant’s switchboard. Controlling (fertile) energy amongst the Abulës-speakers of Papua New Guinea » in T. Galoppin & C. Guillaume-Pey dir. Ce que peuvent les pierres. Vie et puissance des matériaux lithiques entre rites et savoirs. Liège : Presses Universitaires de Liège : 87-107.
- Galoppin, T. & C. Guillaume-Pey dir. 2021 Ce que peuvent les pierres. Vie et puissance des matières lithiques entre rites et savoirs. Liège : Presses Universitaires de Liège.
- Menard, A. 2017 « The political vitality of Mapuche stones. Heteronomy and political decision-making », Journal of Material Culture 22 (3) : 334-347.
- Raffles, H. 2020 The Book of Unconformities Speculations on Lost Time. New York : Pantheon Book.
- Tilley, C. 2004 The Materiality of Stone. Explorations in Landscape Phenomenology. Oxford : Berg.
- Zalasiewicz, J. 2010 The Planet in a Pebble. A Journey into Earth’s Deep History. Oxford : Oxford University Press.
Conditions de soumission
Un résumé de 3 000 caractères maximum, accompagné d’une dizaine d’illustrations. Trois formes d’articles sont envisageables :
- un article pour la version en ligne disponible en accès immédiat, d’une longueur maximale de 50 000 caractères (espaces compris) et dans lequel toutes sortes d’illustrations (photos, vidéo, audio) sont possibles. Il sera également présenté sur 4 pages prenant la forme d’un « teaser » dans la version papier (avec l’annonce du lien http ; 5 000 à 6 000 signes + 2 images HD).
- un article pour la version papier de la revue, de maximum 30 000 caractères (espaces compris) accompagnée d’un maximum de 10 images HD (300 dpi) dans lequel l’auteur s’efforcera d’écrire pour des lecteurs extérieurs à son propre champ, exercice impliquant une double exigence de scientificité et de lisibilité (la revue touchant un lectorat interdisciplinaire de sciences humaines et se diffusant en librairie comme un « livre revue » à destination d’un public élargi).
- un article partant à l’inverse du terrain et des documents, dans lequel l’auteur, se fondant sur des corpus précis, analysera 15 à 20 images, dans un format de maximum 15 000 caractères.
Détails pratiques
Les auteurs devront prendre contact avec les coordinateurs du numéro Nicolas Adell, Laurence Charlier Zeineddine et Ludovic Coupaye par l’intermédiaire du secrétariat de rédaction de la revue (techniques-et-culture@ehess.fr) pour soumettre leur projet (titre et résumé, projet d’iconographie) accompagné de leur nom, coordonnées, affiliation institutionnelle avant le 6 mai 2022.
Une rencontre des contributeurs retenus est prévue à Marseille le 8 & 9 juin 2022. La proposition ainsi que le texte intégral peuvent être envoyés en langue française ou anglaise ; le volume papier paraîtra en français, mais les articles en ligne pourront paraître en anglais.
Consulter le site de Techniques&Culture pour connaître les normes de la revue ou s’adresser à la rédaction : techniques-et-culture@ehess.fr
Calendrier indicatif
- 11 avril 2022 : appel à contributions
- 6 mai 2022 : date butoir pour la réception des propositions (titre et résumé, projet d’iconographie) et la présélection
- 7 juin 2022 : remise des contributions – présentations illustrées en vue de la journée d’étude
- 8 & 9 juin : journée d’étude « Les rencontres Techniques&Culture » à la Vieille Charité, 2e étage, salle C.
- Mi-juin 2022 : communication des premiers avis aux contributeurs et contributrices pressenties.
- Fin juillet 2022 : remise des V1 et lancement de la campagne d’évaluation.
- Septembre-octobre 2022 : transmission des expertises et sélection aux auteurs.
- Novembre 2022 : remise des V2.
- Mai-juin 2023 : parution en librairie, en accès libre et simultané en ligne pour les articles exclusivement électroniques et sous condition d’abonnement pour la version numérique de l’édition papier.
Techniques&Culture
La revue Techniques&Culture s’intéresse aux dimensions pragmatiques, sociales et symboliques des techniques, des plus « traditionnelles » aux plus modernes. Les cultures matérielles et la matérialité permettent de révéler et de donner un sens concret aux rapports entre les hommes ou entre les hommes (sociétés) et leurs milieux. La revue élabore et coproduit des numéros thématiques, synthèse des avancées les plus récentes de grandes questions anthropologiques qu’elle destine autant au monde savant (revue de rang A) qu’à un plus large public (disponible en librairie et sur internet).